Le petit déjeuner de Kichka
Telle une nature morte, déjà consommée, laissée en suspens, abandonnée par son créateur, Le petit déjeuner de Kichka nous questionne sur la temporalité.
En effet, Daniel Spoerri réalise de nombreux “tableaux” figés qui sont en réalité les restes d’un repas posés tels quels sur une table. L’artiste vient alors immobiliser les scènes grâce à une résine collante, laissant ainsi les repas s’immortaliser. C’est en changeant le point de vue du plateau de la table, et des objets y étant présents, que Spoerri vient placer une scène quelconque de la vie courante au rang d’oeuvre d’art. On qualifiera d’ailleurs ses réalisation de “tableaux pièges”.
Se plaçant entre la nature morte et la scène de genre, ses oeuvres témoignent d’un passage, d’une banalité qu’on observerait une fois achevée en s’imaginant une atmosphère passée.
Ce regard novateur que porte Spoerri sur la relation aux repas, reflète en réalité la citation de Jean Anthelme Brillat-Savarin “Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es”. Le plateau de la table à manger se place comme un portrait d’un individu. La présence de la chaise prend alors tout sens, en effet au lieu d’effectuer sa fonction principale d’assise pour accueillir une personne, elle vient soutenir le plateau de petit déjeuner représentant Kichka. La chaise aide non seulement le spectateur à la compréhension de l’oeuvre en personnifiant l’objet, mais en étant changée de point de vue elle porte le petit déjeuner comme un cadre pourrait supporter une peinture.
Au travers du travail de Daniel Spoerri, la chaise se place en tant qu’objet, support, mais aussi en tant qu’un portrait figé par le temps.
Image: Daniel Spoerri, Kichka’s Breakfast, 1960, Source: Museum of Modern Art, New York, NY